• rapport du sénat - juin 1994

    M et Mme Jean-Marie et Christine VILLEMIN, accompagnés de Mie Laurence LACOUR, journaliste, et M. Laurent BECCARIA, éditeur – rapport du sénat, juin 1994.


    LARCHÉ, Président.- Mes chers collègues, nous abordons la dernière phase de nos travaux. Je pense que chacun en a ressenti à la fois l'aspect contradictoire, la complexité et la richesse. Nous accueillons M. et Mme Villemin, et je voudrais leur dire que nous savons les épreuves qu'ils ont vécues ; ils en déduisent le climat dans lequel nous les recevons. Je leur dis, pour que les choses soient très claires, que nous avons au Sénat -et singulièrement au sein de la commission des lois- avec mes collègues ici présents, le souci de comprendre et, à partir de la compréhension, de cheminer, autant que faire se peut, vers des solutions qui seraient telles que des erreurs du passé ne se renouvellent pas. Voilà le climat dans lequel nous vous accueillons, en toute liberté et en toute considération. Vous avez demandé à être accompagnés de personnes qui vous ont aidés dans le cheminement qui a été le vôtre. Je vous laisse donc le soin de nous dire ce que vous souhaitez nous dire...

    Mme VILLEMIN - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, mon mari et moi sommes très honorés de participer à une audition de cette importance, sur des thèmes qui ont bouleversé notre existence depuis dix ans. Nous vous remercions de bien vouloir nous entendre. Si nous avons accepté cette invitation, ce n'est pas pour plaider notre cause ou pour raconter notre histoire, mais pour que notre expérience douloureuse de dix années dans le monde judiciaire permette d'éviter le renouvellement d'autres désastres d'une même ampleur. Mais, pour nous et pour le premier inculpé de notre affaire, il est trop tard. Notre souhait est que l'incompétence professionnelle que nous avons connue en Lorraine de 1984 à 1990, les erreurs de procédure, les violations du secret de l'instruction, l'acharnement des enquêteurs, de certains avocats etsurtout des médias, soient analysés en détail, pour que l'institutionjudiciaire et la presse prennent enfin conscience des modifications à apporter aux défaillances de chacun des systèmes concernés. Avant toute chose, nous voudrions dire que les victimes sont en droit d'attendre de la justice -procureur ou magistrat instructeur- ce que nous n'avons pas connu : le respect de leur douleur, une écoute, un réconfort et une information sur leurs droits. Pour notre part, nous avons appris une semaine après notre drame, et par des journalistes, ce que signifiait "se constituer partie civile". Puis, nous avons dû attendre trois ans, avec le renvoi des dossiers devant la cour d'appel de Dijon, pour connaître une justice humaine et respectueuse des droits desjusticiables. Je vais vous parler de notre expérience au travers des deux grands thèmes abordés lors de cette audition : la violation du secret de l'instruction etla présomption d'innocence... L'article 11 du code de procédure pénale sur le secret de l'instruction n'est pas appliqué, et ce au détriment des justiciables, simples témoins ou mis en examen. Au cours de nos procédures et surtout pendant la première instruction à Epinal, nous avons constaté que ni les policiers, ni le juge, ni les experts, ni les avocats n'ontrespecté le secret de l'instruction. Le code prévoit des sanctions, voire des peines de prison, pour ceux qui participent à une enquête et violent cet article. Or, c'est nous et nous seuls qui en avons supporté les conséquences ! Nous voudrions citer quelques exemples... Le juge Lambert a donné des interviews à la télévision, à la radio, dans l' presse écrite ; il a reçu beaucoup de journalistes et ne cachait pas ses intimes convictions successives. Pire encore à nos yeux, il a laissé se développer des campagnes de presse avec de faux éléments, tout en nous affirmant qu'il ne pouvait rien faire pour nous et que, de toutes façons, la plupart des journalistes racontaient n'importe quoi. Comment un juge d'instruction peut-il faire devant une partie un tel aveu d'impuissance ? Plus tard, nous avons retrouvé dans la presse le contenu de notre courrier qui passait entre ses mains, contenu souvent déformé et retourné contre moi. Or, ces lettres méritaient le secret. Comment comprendre qu'un directeur d'enquête laisse se répandre des documents de cette nature, mais aussi des mensonges ou des affabulations, sachant qu'ils ne correspondent pas au fond de son dossier ? Pourquoi la chambre d'accusation n'a-t-elle pas aidé le juge Lambert à mieux tenir son dossier ? Pourquoi n'a-t-il pas été sanctionné pour ses violations répétées du secret de l'instruction ? Pourquoi ses pairs ne l'ont-ils pas dessaisi après un an d'instruction chaotique, deux inculpations successives, des décisions contradictoires et un drame dansle drame ? Les policiers du SRPJ de Nancy se sont servis des médias contre moi. Pendant un an, France-Soir a publié le compte rendu des activités quotidiennes de la police judiciaire. RTL, de son côté, relayait avec insistance lesréflexions et les soupçons des enquêteurs. Tout était toujours dirigé contre moi et les autres journaux, les radios et les télévisions n'avaient pas d'autres sources d'information. Tous les moyens étaient bons, comme la divulgation des auditions avant que les témoins en soient officiellement informés. Avant son interrogatoire, la nourrice de Grégory était présentée dans la presse comme un "témoin-clé" à charge contre moi, ce qu'elle n'a jamais été. Nos voisins ontsubi lemême traitement avant leur propre audition. L'enquête s'est déroulée pendant plus d'un an dans ce climat de mise en condition. Plusieurs jours avant une perquisition à notre domicile, France-Soir et le Parisien Libéré annonçaient que la police étaitsurle point de trouver -je cite- "la preuve matérielle" -France-Soir du 20 avril 1985- qui manquait à son enquête, "cette preuve qui fera tout basculer" écrivait le Parisien Libéré, le même jour. Alors, comment ne pas s'étonner de la découverte, le 25 avril 1985, dans notre maison, de cordelettes identiques à celles qui liaient notre enfant et qui ont déclenché mon inculpation pour l'assassinat de celui-ci ? Les policiers donnaient à la presse le contenu de mes conversations téléphoniques, puisque j'étais sur écoutes dans le cadre de l'enquête sur la mort du premier inculpé. Ainsi, par exemple, au cours de ma grossesse, mes contacts médicaux étaient-ils divulgués et commentés avec malveillance. Leur rapport de synthèse était détaillé dans le Figaro du 24 juin 1985, c'est-à-dire avant d'être déposé sur le bureau du juge, et 11 jours avant mon inculpation. Pourquoi le parquet général de Nancy, le procureur de la République d'Epinal, la Chancellerie ou le ministère de l'Intérieur ne sont-ils pas intervenus pour qu'on cesse de mettre cette enquête et notre vie privée tous lesjourssur la place publique ? Nous constatons, dix ans après, que les policiers n'ontjamais été sanctionnés. Dans notre affaire, les experts ont beaucoup compté, surtout les experts en écriture : les deux premiers rapports ont été annulés pour vices de forme. Au lendemain d'une dictée supervisée par les deux nouveaux experts, un avocat du premier inculpé a confié à un journaliste : "Quand ça va sortir, ça fera un grand boum !". Cela nous a été rapporté aussitôt, alors que les rapports n'étaient pas rédigés, ni bien sûr déposés ! Deux mois plus tard, j'ai entendu, un dimanche, sur RTL, que les experts en écriture me désignaient comme l'auteur de la lettre qui revendiquait l'assassinat de notre petit garçon, alors que ce rapport n'était même pas notifié aux parties. J'étais alors enceinte et j'ai dû être hospitalisée quelques heures plus tard. J'attendais des jumeaux etj'ai perdu l'un d'eux. Le jour de la notification, qui m'a été faite sur mon lit d'hôpital, l'un des deux experts s'est permis de confirmer publiquement que j'étais bien en tête de leur liste, précisant qu'elle était-je cite- "sûre d'elle, mais que l'on n'estjamais assez sûr !". Ces propos ont été diffusés tels quelssur RTL. Notre avocat aurait pu faire annuler cette expertise, mais nous avions encore confiance en la justice, en d'autres expertises, et nous ne voulions pas nous attaquer directement a une auxiliaire de justice. Nous étions naïfs. Un avocat peut-il s'écarter du droit pour innocenter son client ? On peut se poser la question sachant que, dans notre affaire, les avocats du premier inculpé ont lancé, dès son inculpation, des rumeurs vers moi. Par exemple, ils ont dit que la mort de notre enfant était un accident maquillé en crime, que cet accident était survenu alors que j'étais avec un amant, que j'avais fait une ou plusieurs fugues de 15 jours dans le Midi et que Grégory n'étais pas le fils de Jean-Marie. Tout cela était faux; Ces mêmes avocats ont diffusé à la même époque, dans les rédactions, un mémoire intitulé : "Les invraisemblances et les contradictions de la partie civile", ne tenant pas compte des points vérifiés au moment de la diffusion de ce document. Ils se sont braqués contre la coloration politique de notre avocat, alors que ses idées n'entraient pas en ligne de compte dans notre choix. A partir de là , ils ont dit que l'extrême-droite se trouvait derrière l'assassinat de Grégory, que Jean-Marie était un militant néo-nazi et que nous étions appuyés par le mouvement "Légitime Défense" pour relancer le débat sur la peine de mort. Nous ne faisions pas de politique, même si nous avions voté pour la gauche en 1981, et tout cela nous dépassait et nous dépasse encore. Pourtant, la presse et l'opinion publique ont souvent forgé leur intime conviction en fonction de ces éléments qui n'avaient rien à voir avec nous, notre enfant et le dossier lui-même. Tout ceci se passait avant l'inculpation , la période la plus violente à mon égard, qui a duré 8 mois sans que je puisse me défendre. J'étais devenue "non inculpée-coupable" et impuissante devant cette situation. Par ailleurs, les avocats peuvent-ils utiliser tous les moyens pour parvenir à leurs fins, même si ces moyens sont légaux ? Le juge Lambert a été menacé d'une requête en suspicion légitime et de plaintes pour violation du secret de l'instruction par les avocats du premier inculpé. A partir du moment où ces menaces n'ont jamais été suivies d'effets, ne peuvent-elles être considérées comme un moyen de pression plutôt que comme une véritable action juridique ? Plus tard, lors du supplément d'information mené par le président Simon, ces mêmes avocats, qui n'étaient plus partie dans le dossier, ont utilisé tous les recours et argumentsjuridiques possibles pour empêcher pendant plusieurs années d'entendre certains témoins. A bout de ressources, ils ont déposé contre lui une plainte pour violation du secret de l'instruction visant à lui faire retirer le dossier. Même s'ils n'ont pas toujours été habiles et s'ils ne sont pas parfaits, en dix ans, nos avocats n'ont jamais lancé de procédures pour freiner l'action judiciaire ou écarter tel ou tel auxiliaire de justice. Nous-mêmes étions opposés à ces procédés. Après mon inculpation, d'autres avocats se sont constitués partie civile dans le dossier. Pendant l'instruction, ils annonçaient régulièrement devant les caméras soit que le corbeau allait être démasqué sous quinze jours, soit que le mobile était mis à jour, soit que l'assassin était cerné, soit plus concrètement que les pneus de ma voilure correspondaient aux tracesrelevées sur les bords de la Vologne, avant même que l'expertise s'avère négative sur ce point. Ces propos me visaientsystématiquement, alors que l'instruction butait toujours sur ces mêmes éléments. Déjà, dès leur entrée dans la procédure, ils avaient révélé à la presse leurs vingt propositions d'investigations proposées au juge Lambert. Dix-neuf d'entre elles étaient dirigées contre moi . Comme les policiers, le juge, les avocats de la partie civile ont travaillé à ciel ouvert. Nous avons beaucoup souffert de ces méthodes et du double langage constant de ces avocats. Deux exemples sur ce thème : en septembre 1992, lors de l'examen final du dossier par la chambre d'accusation de Dijon, les avocats de la partie civile ont plaidé l'absence de charges et demandé que la justice mette fin à mon calvaire judiciaire. Or, à la sortie, certains d'entre eux déclaraient devant les journalistes que si l'on avait perquisitionné dans ma voiture le soir du crime, on n'en serait pas à plaider un non-lieu huit ans plus tard. Ces investigations avaient pourtant été faites ! A la même époque, ces avocats de la partie civile souhaitaient une nouvelle expertise vocale. Leurs clients, mes beaux-parents, n'en voulaient pas. Devant la presse, leurs conseils ont raconté que ce retrait était dû à une pression de Jean-Marie sur ses parents. En clair, ils voulaient faire croire que nous avions peur d'une nouvelle expertise. Or, nous n'étions pas intervenus dans la décision, ni dans le retrait de mes beaux-parents. Ce mensonge a pourtant été exploité parla presse une nouvelle fois contre moi . On peut alors se demander si la déontologie de l'avocat prévoit de telles libertés... Pour l'avoir vécu, nous savons que les violations du secret de l'instruction entraînent toujours une atteinte à la présomption d'innocence. Elles ont généralement plusieurs objectifs : soit assouvir un désir de publicité personnelle chez des magistrats placés au centre d'une affaire, soit un désir de notoriété chez des avocats qui, par ailleurs, n'ont pas le droit à la publicité. Pour des avocats, une affaire comme la nôtre représente une tribune en or. Ces violations peuvent servir les intérêts de certains enquêteurs ou services de police qui se trouvent en concurrence. Elles peuvent avoir un objectif plus pervers encore, comme de masquer une incapacité à résoudre une énigme, un dossier vide ou de lancer des accusations publiques afin d'exercer une pression en vue de décisions judiciaires -mise en examen, maintien en détention ou renvoi devant une juridiction. Enfin, elles peuvent servir à conditionner l'opinion publique pour accréditer progressivement une thèse fondée sur des a priori. C'est ce cas de figure que j'ai personnellement vécu. Pour parvenir à de telles fins, il n'existe, pour ceux qui violent le secret de l'instruction, qu'un seul moyen : l'utilisation des médias. Le problème est donc de savoir si les médias doivent jouer le jeu des juges, des enquêteurs ou des avocats, si leur mission d'informer se limite à l'amplification, sans vérifications et sans preuves, de leurs sources policières et judiciaires, s'ils doivent suivre l'instruction au jour le jour et enfin s'ils doivent se contenter de rendre compte d'une affaire lorsque le dossier est clos. Nous n'avons pas la prétention de répondre à ces questions, notamment en raison de la situation de mon mari, qui illustre un cas extrême d'atteinte à la présomption d'innocence. On peut néanmoins se poser certaines questions : si les gendarmes n'avaient pas arrêté le premier inculpé devant les caméras, si le juge n'avait pas divulgué les charges pesant sur lui, si ses avocats n'avaient pas fait jouer la rumeur à son profit, si les médias n'avaient pas dit et écrit : "C'est lui l'assassin", si on avait compris notre désespoir et sans minimiser sa responsabilité, mon mari aurait- il à assumer la mort d'un homme ? Ceci étant dit, voici mon témoignage sur ce que j'ai vécu avant et après mon inculpation. Le première campagne de presse ciblée contre moi a démarré le 12 mars 1985, soit 116 jours avant mon inculpation pour l'assassinat de mon enfant. Pendant cette période, de mars à juillet 1985 , ces campagnes n'ont pas cessé. Tous les jours, des articles m'accusaient d'être d'abord le corbeau, auteur de la lettre du crime, puis la complice de l'assassin et enfin cet assassin lui-même. Il faut souligner que parmi les journalistes qui suivaient notre affaire, l'un deux a joué un rôle particulier. Il s'agit de Jean Michel Bezzina, qui travaillait à l'époque en son nom propre pour RTL où il est rédacteur en chef adjoint, sous le nom de Jean-Michel Jeandon pour France-Soir, sous le nom de Jean-Michel Eulry pour le Figaro, sous le nom d'Arnaud Laurence pour le Journal du Dimanche. Il était relayé par son épouse, Marie-France Bezzina, également journaliste, qui travaillait en son nom propre pour l'Agence Centrale de Presse, l'agence AP, sous le nom de Marie France Lefevre pour le Quotidien de Paris et le Parisien Libéré. Enfin, ils travaillaient également en alternance pour le quotidien régional Ouest-France. Pour une raison qui nous est inconnue, ce couple de journalistes a décrété quelques jours après la mort de notre enfant que j'étais l'auteur de son assassinat. Sans nous connaître et sans chercher à nous rencontrer, ce couple a répandu publiquement cette thèse. Ce fut d'abord une rumeur, devenant au fil des mois une information. Un jour, ce journaliste m'a téléphoné. Comme je lui refusais une interview, il m'a répondu : "Madame, un jour, l'opinion publique vous jugera et sachez que l'opinion publique, c'est moi qui la fait !". Sachant que ce journaliste était ami du commissaire du SRPJ chargé de l'enquête et de l'un des avocats du premier inculpé, il est facile de deviner à qui profitait ce que l'on appelle aujourd'hui le lynchage médiatique. De fait, en quelques mois, l'opinion publique s'est presque entièrement dressée contre moi. Mais peut-on parler d'atteinte à ma présomption d'innocence, puisque j'étais alors partie civile ? Entraînée par ce monopole, l'ensemble de la presse nationale et régionale française a imaginé un grand feuilleton, en réécrivant mon histoire, ma jeunesse, notre vie de couple et même celle de notre enfant que l'on disait, entre autres, mal aimé. On m'a accolé les qualificatifs les plus violents pour correspondre à cette thèse, tel que le «monstre de la Vologne », terme employé pour la première fois dans Paris-Match au printemps 1985. Ce même journal a décrit, trois semaines avant, mon inculpation par le juge Lambert. On pouvait lire au terme d'un long article de Jean-Michel Caradech détaillant l'enquête policière non-versée au dossier : «Enfin, lui demandera le juge, pourquoi avez-vous tué votre enfant ? Comment avez-vous procédé ?». Je dois dire que ces questions ne m'ontjamais été posées, ni avant, ni après mon inculpation. Pendant cette période, durant laquelle je n'avais plus de liberté physique car j'étais poursuivie et traquée, les journalistes se déchaînaient contre moi. L'un d'eux s'est même permis de dire au juge Lambert, dans son bureau et devant témoins -je cite et vous prie de m'excuser pour cette grossièreté : «Quand est- ce que tu l'inculpes, cette salope ?». Dans le même ordre d'idée, j'ai pu lire dans un journal les propos réels ou supposés qu'avait tenu un médium devant le juge Lambert. Cet astrologue affirmait que j'étais impliquée au moins à 80 % dans l'assassinat de mon enfant. Tous ont écrit aussi que mon mari doutait de moi et de mon innocence. Dois-je dire aussi que la presse a démenti ma fausse couche, présentée comme un mensonge de plus de ma part ? C'est la liste des affabulations médiatiques répandues sur mon compte, qui serait longue à dresser. Le plus important est de se souvenir qu'elles ont été publiées pendant les mois précédant mon inculpation. Lorsque le juge Lambert s'est décidé, il a averti les journalistes avant mon arrestation. Il a lui-même avoué dans son livre, «Le petit juge», avoir reçu les conseils d'un ami lui disant que, s'il ne le faisait pas, la presse allait, je cite, « le massacrer». Il faut savoir aussi que le journaliste Jean-Michel Bezzina a été nommé chevalier dans l'ordre national du Mérite voici trois semaines et que Jean-Michel Caradech est Prix Albert-Londres, la plus grande distinction de la presse française. Ces journalistes, comme les policiers ou le juge Lambert, n'ont jamais eu à rendre des comptes sur leurs agissements de ces années-là. Mon inculpation , prononcée le 5 juillet 1985 , a évidemment décuplé les choses. On a dit et écrit que j'étais, je cite, « une sorcière manipulatrice, criminelle, calculatrice, diabolique , infanticide, dominatrice, maudite, dangereuse, vengeresse solitaire, orgueilleuse, moqueuse, froide, autoritaire, agressive», , etc. Je passe sur le côté « sublime » que m'a trouvé Marguerite Duras. Pire, si cela est possible, de fausses conclusions psychiatriques ont été diffusées dans les journaux, sur les radios et à la télévision, affirmant que j'étais, je cite à nouveau, "hystérique, perverse, dénuée d'instinct maternel, capable de martyriser son enfant". Lorsque les vrais rapports on été versés au dossier, deux mois plus tard, en concluant à la normalité de ma personnalité, personne ou presque n'en a parlé. A côté de ces inventions, il existe une autre forme d'atteinte à la présomption d'innocence : la transformation systématiquement à charge, avant expertises ou vérifications, de tout élément du dossier. Un exemple parmi tant d'autres : à défaut de prouver que j'avais tué mon enfant, les policiers et le juge ont voulu prouver que j'avais eu le temps matériel de le faire. Un mouchard d'un car scolaire se trouvant, ce jour-là, au même endroit que moi, devait permettre de fixer un horaire capital. Les avocats de la partie civile et la PJ ont fait savoir que cet élément ajoutait un quart-d'heure supplémentaire à mon emploi du temps. Ce mouchard fut présenté comme la preuve capitale contre moi. Trois mois plus tard, l'expertise officielle enfin versée au dossier révélait un horaire correspondant exactement à mon témoignage. Il n'y avait plus de quart-d'heure accusateur et là encore, peu de journaux en ont parlé. Dans ce contexte de procès public permanent, qui aurait pu jurer, si j'avais été renvoyée devant les assises, de mon acquittement ? Notre affaire a fait la une des médias pendant trois années tous les jours, puis de manière irrégulière pendant les sept années suivantes. Pendant ce temps, il a été publié dans la presse nationale et de Lorraine environ 3.000 articles. 26 seulement ont annoncé mon non-lieu. Nous aussi, en tant que protagonistes de cette affaire, nous avons commis des erreurs, comme de vouloir répondre aux rumeurs par des interviews qui ont alimenté les polémiques, comme d'accepter des transactions avec la presse pour payer tous nos frais de procédure. Mais, avant notre drame , nous étions ignorants du fonctionnement de la justice, des médias et nous n'avions ni la connaissance, ni la maturité, ni la sérénité nécessaires pour éviter ces erreurs. Quelques réflexions et propositions. Même si notre affaire et ses dérapages sont hors du commun, il nous paraît nécessaire de réfléchir aux solutions pour éviter que d'autres connaissent le même sort que nous. Selon nous, la solution idéale serait de ne plus divulguer l'identité d'un témoin placé en garde à vue ou mis en examen jusqu'à sa mise en accusation. Cela existe déjà dans certains pays européens. Ce serait une révolution pour la justice et la presse, et c'est sans doute pourquoi aucune loi n'a été présentée dans ce sens. A défaut de faire cette révolution, il faut que la justice exige des enquêteurs, des magistrats, des avocats et des experts le respect de l'article 11 sur le secret de l'instruction et prenne les sanctions nécessaires quand la loi est violée, notamment dans les affaires de droit commun, qui n'ont rien à voir avec des affaires politiques ou financières. Même si le secret total est impossible, les mensonges, rumeurs et effets d'annonce comme ceux que nous avons subis pendant des années ne sont pas tolérables et n'ont rien à voir avec la liberté de la presse. Pourquoi les magistrats du parquet n'engagent-ils jamais de poursuites contre les responsables judiciaires ou médiatiques de ces débordements ? La justice doit instaurer une communication avec les médias sous forme de communiqués du parquet qui devraient être écrits et signés par le procureur et le juge d'instruction avant d'être versés au dossier, ceci pour que les parties ne puissent plus exploiter uniquement à leur profit les procédures. A notre avis, l'enquête doit rester secrète, mais il n'est pas concevable de cacher des décisions aussi graves qu'une mise en examen et une mise en accusation, ceci aussi pour éviter les abus de pouvoir de certains juges. Pour la mise en examen, un communiqué du parquet devrait suffire. A ce moment, la communication doit accorder une part équilibrée aux éléments à charge et à décharge des parties présentes dans le dossier. Concernant les termes judiciaires, comment l'opinion publique non-informée dans le domaine du droit peut-elle faire la différence entre une personne inculpée d'assassinat dans un dossier carré, sans contestation de la part de l'auteur, et une personne inculpée d'assassinat sur simples présomptions ? En clair, comment l'opinion publique pouvait-elle faire la part des choses entre l'accusation qui frappait mon mari et celle que j'ai subie, à tort, pendant des années ? Une mise en accusation ou une non-mise en accusation survenant plusieurs années plus tard devrait se faire à l'occasion d'une audience publique de la chambre d'accusation, de même pour les demandes de mise en liberté examinées par la chambre. Cette publicité permettrait d'éviter les doubles langages d'avocats comme ceux que nous avons connus et les interprétations des journalistes à partir d'informations erronées ou incomplètes. D'autre part, il faudrait que les chambres d'accusation remplissent pleinement leur rôle, sans se contenter d'entériner le travail des juges d'instruction. En 1986, la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Nancy n'a pas fait son travail en me renvoyant directement aux assises sans ordonner le supplément d'information que demandaient toutes les parties, y compris le procureur général. Six mois plus tard, celle de Dijon a joué pleinement son rôle en décidant de tout mettre à plat avant de trancher pour un renvoi devant un jury populaire ou un non-lieu. Un non-lieu devrait avoir le même retentissement qu'une mise en examen ou une condamnation. Il n'est pas normal que les arrestations se fassent devant les journalistes et que, dix ans plus tard, le non-lieu soit notifié à domicile par un huissier. Nous espérons que la justice prononcera désormais, dans d'autres affaires criminelles, des non-lieux rendus comme le mien, pour absence totale de charges en faveur d'innocents et qui permettront de les distinguer des criminels qui passent au travers des mailles du filet de la justice. Concernant un renvoi devant les assises, nous pensons, par expérience, qu'une distinction s'impose entre les différents types d'affaires criminelles, les dossiers clairement établis comme celui de mon mari, sur lequel peut se prononcer un jury populaire, et les dossiers sans éléments décisifs, preuves ou aveux comme celui, par exemple, d'Omar Raddad, jugé récemment. Dans ce deuxième type d'affaire, un jury professionnel, comme pour le terrorisme, serait mieux à même d'évaluer les éléments et de résister aux pressions et aux a priori médiatiques, ces a priori dont nous avons tant souffert pendant des années, et qui se sont ajoutés à la douleur abominable de perdre notre petit Grégory. Sans les hauts magistrats de Dijon, les présidents Simon, Martin et Ruyssen, leurs assesseurs, les procureurs généraux, qui incarnent à nos yeux l'image d'une vraie justice, nous n'aurions sans doute pas pu témoigner aujourd'hui devant vous pour que, plus jamais, une mère ou un père connaissent un jour un tel calvaire. Je vous remercie de votre attention.

    M. le PRÉSIDENT - Madame, nous vous avons écoutée avec une grande attention et, j'en suis persuadé, avec une émotion certaine. Je ne sais si, compte tenu de ce que nous avons entendu du déroulement de cette affaire et du sentiment que nous avons, vous souhaitez que des questions soient posées, car nous avons compris votre souci. Vous nous avez dit ce qu'a été votre douloureuse expérience personnelle. En même temps, par une réflexion que nous avons entendue, vous avez suggéré un certain nombre de moyens qui, dans votre esprit, sont de nature à éviter que d'autres que vous connaissent les mêmes déroulements douloureux. La commission des lois n'a jamais entendu un témoignage de cet ordre, car ce n'est pas notre propos ni notre habitude, mais nous avons pensé qu'il était nécessaire de vous accueillir dans la perspective de ce que nous avons étudié aujourd'hui, comme une sorte de complément et en même temps comme une sorte de conclusion à l'ensemble de nos travaux. Nos collègues peuvent souhaiter néanmoins vous demander une précision, sans ajouter à la difficulté de la situation qui est la vôtre, et que nous comprenons....

    M. MÉHAIGNERIE, Ministre d'Etat, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice - J'aimerais que ceux qui ont posé un regard de témoin sur cette affaire et qui peuvent, compte tenu de leur expérience, tirer les conclusions de ce témoignage, et d'autres, nous donnent leur sentiment sur les objectifs fixés par la commission des lois...

    Mme LACOUR, journaliste - Mon intervention n'était pas prévue ; elle sera donc courte car je n'ai rien préparé. J'ai entendu tout ce qui s'est dit au cours de la journée sur ces deux problèmes de la violation du secret de l'instruction et de la présomption d'innocence... Personnellement, j'ai travaillé sur ces deux questions en préparant un ouvrage dans lequel je détaillais le parcours de Christine et Jean-Marie Villemin dans leur affaire, au sein du système judiciaire et médiatique. On a dit beaucoup de choses aujourd'hui: je ne sais pas quoi ajouter... Je voudrais que la presse et la justice tirent effectivement les leçons d'un parcours qui ressemble plutôt à un calvaire... Il n'est pas concevable de retrouver un jour la même situation, tant dans le domaine judiciaire que dans les médias, et chacune des parties, au-delà de ses intérêts propres, de ses archaïsmes ou de ses habitudes, doit décider de réformer les choses. La justice doit s'imposer pour cela une éthique de l'information ; elle ne peut plus faire l'autruche et ignorer qu'elle a à sa porte une demande grandissante. Dans un système de concurrence effrénée, elle doit y répondre. C'est à elle, en amont de ce genre de situation, de trouver les réponses. La presse, en aval, dans le respect de sa liberté et de celle des individus pris dans ce genre d'affaire -peut-être plus dans les affaires de droit commun que dans d'autres où les solutions seraient différentes- ne peut que s'incliner devant ce que l'on vient d'entendre et tenter de trouver des solutions, en accord avec le monde judiciaire.

    M. BECCARIA, éditeur - Je voudrais ajouter un mot, presque en tant qu'historien, puisque j'ai été l'éditeur de Christine et Jean-Marie Villemin... Je l'ai fait pour une raison simple que je voudrais exposer. Je voudrais revenir sur ce qu'ont dit les journalistes tout à l'heure, car j'ai trouvé qu'il y avait un mélange entre des grands principes sur la démocratie, la liberté de la presse et la pratique quotidienne. Un historien, Maurice Levers, a écrit un livre extraordinaire il y a un an, qui a eu peu d'écho, sur l'histoire de la presse. Le premier imprimé qui est sorti des presses de Gutemberg était la Bible mais, trente ans après, on trouve en circulation dans le nord de l'Europe ce que l'on appelle les « occasionnels», petits journaux de faits divers qui reprennent le rôle des colporteurs qui, au Moyen- Age, racontaient des histoires de crimes. Ces « occasionnels», un siècle avant la "Gazette" de Renaudot, ne sont donc pas une invention de la presse populaire et se situent bien avant les débats sur la démocratie et la liberté. On y retrouve exactement les mêmes termes que ceux employés à propos de Christine Villemin, qui prennent une dimension tragique : hystérie, perversité, infanticide. On en a fait surtout une femme par qui le malheur arrive, argument de l'accusation. Il est fascinant de retrouver à la fin du vingtième siècle les mêmes termes que ceux de ces « occasionnels». Tous les journalistes ont parlé d'investigation, de liberté de la presse et de démocratie, mais des combats ont été menés bien avant puisqu'ils ont commencé avec Renaudot, au moment de la révolution et des principes de la déclaration des droits de l'Homme. En même temps, certains journalistes se servent de cette liberté fondamentale pour reprendre ce rôle de colporteur de malheurs qui est en chacun de nous, lecteurs voyeurs et avides de souffrances. C'est l'antique tragédie de l'être humain face à la mort. Si on joue trop sur ce phénomène, c'est parce que cela permet de faire des pages et des pages, des couvertures de journaux. L'affaire qui vous a été exposée ce soir faisait la une de tous les grands journaux ! Pour un journaliste, il n'existe pas de conscience de sa propre pratique, de la matière qu'il traite, de la séparation des thèmes entre faits de société et faits divers. Il n'y a ni auto-critique, ni autorégulation. Certains se sont dédouanés facilement tout à l'heure, entre 18 heures et 20 heures...

    M. GIRAULT - Cette affaire est bien sûr une catastrophe judiciaire et humaine. Au cours des auditions de cet après-midi, certains ont dit que le secret de l'instruction était mort, que la présomption d'innocence était morte ; l'un d'eux a ajouté que, d'ailleurs, dès l'instant que l'on est mis en examen, il n'y avait plus de présomption d'innocence. Ce sont là des propos étonnants et inquiétants de la part de journalistes ! A la fin de la journée, on reconnaissait que tout ceci est bien complexe. L'opinion veut être informée, pas uniquement concernant le dossier qui nous intéresse ce soir, mais de l'ensemble, plutôt sans doute sur des sujets d'ordre financier, ce qui n'est pas tout à fait de la même nature que l'affaire Villemin. Néanmoins, cette idée que le secret de l'instruction et la présomption d'innocence sont des affaires classées et qu'il ne faut plus trop en parler car c'est impossible à protéger est inquiétante et, pour les parlementaires, impose quelques réflexions. Mais ce n'est pas tout... J'ai suivi, comme tout un chacun cette affaire qui a remué la France -et sans doute d'autres pays... Une orchestration de quelques journalistes s'est ajoutée à la violation du secret de l'instruction et de la présomption d'innocence. Il se mettait en place un système pour abattre Christine Villemin. Je me demande si le droit français permet de sanctionner incontinent, sans laisser les mois passer, ce genre d'action qui vient s'ajouter à la violation du secret de l'instruction et à la négation de la présomption d'innocence... J'observe également -mais probablement que Jean- Marie et Christine Villemin l'ont vu de plus près- qu'en effet, l'autorité judiciaire, au niveau supérieur, ne s'est pas manifestée. Un juge d'instruction, jeune de surcroît, peut être malhabile. Il a néanmoins donné des interviews à la presse. Sur le plan de la déontologie, la magistrature doit se poser des questions... Aucun dessaisissement n'a été décidé. A-t-il seulement été sollicité ? Je ne le sais pas mais, au-delà même du secret de l'instruction qui a été violé constamment et de la négation de la présomption d'innocence, saurions-nous aujourd'hui y faire échec ? Comment les supérieurs hiérarchiques d'un juge d'instruction pourraient-ils faire ? Peuvent-ils faire quelque chose ? Je reste persuadé que beaucoup de journalistes sont des gens très rigoureux, mais que ce qui s'est passé il y a dix ans, après la mort de Grégory, peut se reproduire ; on ne pourra pas dire cette fois qu'on n'était pas prévenu ! Je suis un peu confus et incertain, mais ce devait être abominable ! Je n'ai pas bien compris ce que vous avez dit de vos relations financières avec la presse...

    M. VILLEMIN - Nous étions des gens simples, sans moyens financiers. Une telle procédure n'est pas gratuite : cela engage des frais énormes. J'étais incarcéré, sans salaire, mon épouse également ; il fallait donc trouver un moyen de survivre et de se défendre, mais cela a contribué au développement de ce gâchis médiatique. C'est une erreur, mais on ne pouvait faire autrement...

    M. GIRAULT - Il me semblait qu'un des journalistes qui a orchestré l'affaire était venu à votre procès dire : "On en a trop fait" ou : «On a mal fait»...

    Mme LACOUR - C'est de moi qu'il s'agit ! La défense de Jean-Marie Villemin, alors que je travaillais sur ce thème, m'a demandé de venir témoigner pour éclairer le contexte psychologique et médiatique de l'époque. J'ai accepté de venir raconter ce qu'avaient été ces coulisses, ces liens plus ou moins occultes ou plus ou moins connus entre différentes parties, entre les magistrats, les avocats, les policiers et certains journalistes. Mais ceux que j'ai mis nommément en cause à la barre ne sont pas venus. On ne le leur a d'ailleurs pas demandé. En revanche, ils ont été décorés il y a quelques jours !

    M. BÉRARD - Monsieur et Madame Villemin, je n'ai pas entendu ce que vous avez dit : j'étais pris par ailleurs, mais je préfère ne pas l'avoir entendu, ce qui permettra à ma question d'être claire et franche... Vous avez été invités devant la commission des lois du Sénat, et je vous remercie à mon tour d'avoir accepté de venir. Nous avons longuement hésité avant de décider d'inviter ou de ne pas inviter telle ou telle personne -votre nom n'était pas encore prononcé- qui avait pu subir les conséquences des déchaînements médiatiques et des violations patentes du secret de l'instruction. Je ne sais pas non plus quelle est votre notion exacte du secret de l'instruction. Vous avez hélas tous deux subi -ô combien- une . instruction. Vous n'étiez pas, vous, soumis au secret mais, vous l'avez dit, vous étiez des gens simples. J'ai suivi comme tout le monde le déroulement de cette affaire à travers la presse et il est évident, d'après moi, que, psychologiquement, vous avez éprouvé le sentiment de respecter plus ou moins le secret de l'instruction durant ces longues années. Nous nous sommes demandés, lorsque nous avons déclenché ces auditions, quel était le comportement sentimental et psychologique des gens qui se trouvaient entraînés dans cette fantastique et tragique tourmente. Quand on est coincé là-dedans, souhaite-t-on en dire le moins possible, en demande-t-on le moins possible ou, au contraire, souhaite-t-on que tout soit dévoilé et expliqué publiquement et le plus vite possible ?

    M. VILLEMIN - Tout d'abord, quand un tel drame vous arrive et qu'une affaire est médiatisée à l'extrême, il n'y a plus de sérénité : c'est la passion qui l'emporte. Que dire et que faire ? Non, je ne pense pas qu'on ne puisse rien dire à la presse. Il faudrait qu'un magistrat soit spécialisé dans ce domaine, que ce soit public et versé au dossier. Mais j'ai en même temps entendu dire cet après-midi que, pour la transparence de l'information, il faudrait que des procès d'assises soient filmés. Je suis contre, car une affaire extrêmement médiatisée ne peut comporter de jugement en toute sérénité, la passion l'emportant encore une fois ! Par contre, une audition comme celle-ci est enrichissante pour l'opinion publique, car on se rend compte du fond du problème, et une telle commission devrait être filmée ! Beaucoup de gens, là où je travaille, et avec qui je discute disent : « Si c'est écrit, c'est vrai !»...

    M. BÉRARD - Autrement dit, on a envie de s'expliquer, mais sérieusement.

    M. VILLEMIN - C'est cela...

    M. MASSON - Comme tous mes collègues, j'ai entendu avec une profonde émotion le témoignage de M. et Mme Villemin. Je fais la part de toutes les insuffisances, de toutes les ignorances, de toutes les vanités, de tous les intérêts et je pose une une question à M. le Garde des Sceaux -qui n'était pas en charge à l'époque et ne peut répondre pour autrui : si une telle affaire se posait en ce moment, avec une hiérarchie organisée pour cela autour de la loi, avec tous les arguments que nous développons nous, parlementaires, pour et contre, en toute bonne foi, serait-il possible que tout ceci s'effondre et que rien ne joue parce que quelques-uns, quelque part, à un moment quelconque, n'ont pas su ou voulu prendre leurs responsabilités ? Qu'a fait la chambre d'accusation du lieu quand elle a constaté les errances d'un magistrat ? Quelles que puissent être les erreurs, les incongruités d'une procédure, quelqu'un, à un moment, doit dire : «Halte-là ! Stop !*. Que feriez vous aujourd'hui, Monsieur le Garde des Sceaux ?

    M. LE PRÉSIDENT - Il n'est pas possible que, dans un système, quel qu'il soit, à un certain moment, l'erreur ne soit pas commise. Par contre, que la mécanique de contrôle ne se déclenche pas et que ceux qui n'ont pas fait leur métier aient connu de l'avancement, peut-être une fin de carrière parfaitement paisible, ceci n'est pas tolérable ! Ce n'est pas tolérable... L'erreur est toujours possible mais, au-delà de toutes les défaillances individuelles, ce que nous voulons dans l'Etat, c'est une mécanique de contrôle qui fonctionne, avec des gens qui font leur métier et que ceux qui sont au- delà de l'appareil de contrôle, s'ils s'aperçoivent que celui-ci n'a pas fonctionné, interviennent et disent que ce n'est pas tolérable. Et ce qui s'est passé n'est pas tolérable ! Il ne s'agit pas du juge Lambert, mais du fait qu'au-delà de lui, une mécanique ne se soit pas déclenchée et que personne n'ait dit : "Voilà l'erreur et de cette erreur, de cette insuffisance, nous nous voulons pas !». C'est intolérable ! C'est la crédibilité de l'Etat qui est en cause...

    Mme LACOUR - Je faisais partie des journalistes qui ont couvert cette affaire à l'époque : à partir du moment ou cette mécanique s'est mise en marche, il y a eu une peur de la presse. Pourquoi la chambre d'accusation et le parquet général de Nancy n'ont-ils pas bougé ? Parce qu'ils ont eu peur de la presse !

    M. le PRÉSIDENT - Les gens que nous mettons en place ne sont pas là pour avoir peur !

    Mme LACOUR - Il y avait des rapports internes écrits sur ce problème : les journalistes en cause étaient cités seulement sous leurs initiales ! Cela prouve bien la couardise et le retrait extrême des autorités judiciaires d'alors face à cette mécanique ! Si la Chancellerie avait demandé au ministère de l'Intérieur de donner des consignes pour que les policiers du SRPJ cessent de divulguer quotidiennement leurs activités, cela suffisait : ce n'est pas une révolution ! La liberté de la presse n'était pas en cause sous prétexte que la police judiciaire cessait de divulguer ses activités quotidiennement, du jour au lendemain, et de façon toujours univoque. On ne l'a pas fait parce qu'on avait peur !

    M. DREYFUS-SCHMIDT - Si les textes actuels -comme le seul article 9-1- avaient existé, s'il avait été possible de demander en référé la condamnation des organes de presse présentant celui-ci ou celle-ci comme coupable, aurait-on eu la solution du problème ?

    M. VILLEMIN - Je ne pense pas. Tout dépend de l'affaire et de l'ampleur médiatique. J'ai entendu dire cet après-midi que des journalistes avaient été condamnés à 250.000 ou 300.000 francs, mais nous nous sommes rendus compte que cela nous coûtait plus cher que cela a pu nous rapporter. Bien souvent, les condamnations sont dérisoires : une couverture comme celles que nous avons connues pour notre affaire rapporte je ne sais combien, mais couvre largement la condamnation !

    M. DREYFUS-SCHMIDT - S'il avait été interdit à la presse de parler de l'affaire avant qu'elle ne vienne devant les tribunaux, aurait-on eu satisfaction ?

    M. VILLEMIN - Cela dépend. Il faudrait pouvoir faire la part entre une affaire carrée et une affaire qui ne l'est pas. On met tout dans le même contexte, et cela prend des proportions terribles.

    M. DREYFUS-SCHMIDT - Avec le danger qu'une affaire présentée comme carrée ne le soit pas...

    M. VILLEMIN - Une "affaire carrée", c'est une affaire non-contestée...

     

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