• Alain Lamare : le gendarme enquêtait sur ses propres crimes

     

    Alain Lamare : le gendarme enquêtait sur ses propres crimes

                                                           Alain Lamare lors de son arrestation le 8 avril 1979.

     

    Alain Lamare -ou le second tueur de l'Oise après Marcel Barbeault- était un jeune gendarme de 23 ans plein d'avenir, l'un des meilleurs de sa brigade. Lorsqu'en mai 1978 la police de Creil commence à enquêter sur un nouveau tueur de l'Oise, Alain Lamare s'implique autant qu'il le peut dans la chasse au tueur fou, cherchant par tous les moyens à "se faire la peau du salaud". Ce que ses équipiers et amis ignoraient, c'est qu'ils traquaient l'un des leurs.

     

    "Lisez attentivement chaque mot. Je ne cherche pas à ce que l'on me comprenne. Je ne cherche pas à ce qu'on excuse mes actes; ils sont le fruit d'un état d'esprit différent engendré par de mures réflexions. Ma pensée est intense et constante. Je ne suis pas un dément, je suis parfaitement conscient et je contrôle totalement chacun de mes gestes. Je n'ai jamais subit de traitement psychiatrique. Physiquement, je ressemble au commun des mortels, je ne possède aucun trouble mais une santé magnifique sans être atteint d'aucune maladie. Je n'ignore pas que mes actes semblent monstrueux pour un public installé dans la léthargie, de la doucereuse matérialité actuelle. L'hypocrisie, l'égoïsme, l'indifférence, la cruauté, la jalousie, l'orgueil, forment un amalgame caractérisant l'homme. Je hais l'Homme. J'exècre la femme. Cette haine s'est accumulée en moi au cours d'une adolescence difficile et passionnelle. J'y ai découvert l'amour unique, total, merveille de la féminité, de la jeunesse et du bonheur. Elle était mon espoir et la réponse à mes questions. Nos regards se tournaient vers l'avenir, prometteur et simple. J'étais une brebis sage dans le grand troupeau. Son nom et son prénom pourraient vous conduire jusqu'à moi aussi, je préfère les taire. Six années de joie permanente, de tendresse réciproque, de passion et puis un jour, l'horreur de la réalité, le rêve qui soudain, explose. Se volatilise. Elle a été tuée par un chauffard qui cette année a certainement pu rire et chanter à la fête de Noël sans se soucier de la vie qu'il a volée. Il n'a pas été retrouvé et ne le sera jamais. Mais toi, ma mie, que j'aimais tant et dont le souvenir fait trembler mes doigts, à tout jamais tu es partie. J'ai pleuré et hurlé longtemps, tel un enfant qui ne comprend pas. Puis le silence, la réflexion, le néant. J'ai vu son corps désarticulé, j'ai eu peur. Et peur également de la mort qui me restait. On ne s'habitue pas à la souffrance morale si elle nous brûle les entrailles, nous vide l'esprit. Le mutisme obstiné, l'incommunicabilité totale, la solitude extrême. Les rêves où elle me regarde, étonnée par mes larmes. Les cauchemars où son corps ensanglanté me prend dans ses bras. Tout cela a transformé un être sensible et calme en un monstre implacable, ivre de vengeance et de sang. Désormais, je refuse toute féminité. Je veux détruire et tuer au hasard jusqu'à ce que je sois tué. La folie n'est pas en moi, elle est dans l'Homme, dans la société qui l'a construite, dans le crime éternel qu'il commet. Je devrais oublier et aimer encore mais mon amour avait trouvé le summum de la fidélité. Un jour, mon sang s'échappera de mes veines et je rejoindrai celle qui m'attend."

    En mai 1978, les gendarmes du peloton de surveillance et d'intervention de Chantilly on trouvé une Peugeot 504 abandonnée dont plusieurs vitres semblaient avoir été brisées par des tirs de balles. Après recherches, la voiture appartenait à une femme de gendarme qui avait laissé ses clés sur le contact. Après la découvertes de quelques maigres indices (mégots de cigarette, cordelette, papiers de bonbons et de chewing-gum, douilles de balle de carabine ou de fusil, mouchoir tâché de sang), les gendarmes alertent la Police Judiciaire de Creil chargée des affaires de banditisme. Près de la voiture, les fonctionnaires ont trouvé ce qui semblait être le plan d'un préparatif de hold-up à la poste de Pierrefonts.

    Deux mois plus tard, en juillet 1978, Karine s'est faite agresser à la sortie d'un cinéma de Pont-Sainte-Maxens alors qu'elle n'avait que 17 ans. L'homme qui conduisait une Renault 12 lui a tiré trois fois dessus en l’atteignant au mollet. Malgré la brutalité et le choc de l'événement, Karine eut la présence d'esprit de relever l'immatriculation du véhicule. Après de courtes recherches, les gendarmes se sont rendus compte qu'il s'agissait d'une voiture volée alors que les clés étaient restée sur le contact. A ce moment-là, personne ne fait le rapprochement avec la Peugeot 504 trouvée deux mois plus tôt; il était monnaie courante à l'époque de ne pas verrouiller sa voiture. Alain Lamare fait parti des gendarmes qui l'interrogent et lui promet de "retrouver le fumier."

    Dix jours plus tard, un gendarme de Creil remarque une voiture mal garée dérogeant à la règle du stationnement alterné. Un mécanisme artisanal provoque une explosion lorsqu'il ouvre la porte avant et se fait brûler au visage ainsi qu'aux mains mais par chance, ses brûlures seront de premier degré. L'enquête qui a résulté de la trouvaille piégée a conduit les enquêteurs jusqu'au propriétaire du véhicule, un paysan dont la voiture a été volée alors que les clés étaient sur le contact. Les enquêteurs ont pu reconstituer l'itinéraire du criminel grâce à une série de chèques qu'il a abandonné dans l'automobile et grâce aux témoignages des commerçants interrogés, les gendarmes parviennent à dresser un portrait robot.

    Alain Lamare : le gendarme enquêtait sur ses propres crimes

      Tandis que les enquêteurs font le lien entre ces trois enquêtes, le commissariat de Creil reçoit      une lettre anonyme accompagnée de la carte grise de la voiture piégée : "Je suis un tueur et en    tant que tel, je vais tuer. Karine me connaît mais elle ne pourra jamais faire le                            rapprochement."  Après analyses, il s'avère que les empreintes digitales prélevées sur la lettre      correspondent à celle de la Peugeot 504 trouvée quelques mois auparavant.

      Pendant trois mois et malgré les menaces de la lettre anonyme, rien ne se passe. Aucune              voiture volée, aucune tentative de meurtre. Mais le 16 novembre 1978, les gendarmes de              Clermont-sur-Oise sont appelé pour un accident : un automobiliste a renversé une cycliste. Par      chance, les témoins présents sur les lieux ont pu relever la plaque d'immatriculation du                véhicule qui avait été volé sur le parking de la gare SNCF de Bauvet, les clés étant restées sur le    contact. Les gendarmes retrouvent la voiture deux jours plus tard et l'un des gardiens de la paix    provoque une explosion en ouvrant la portière avant. 

     Jean Pineau, commandant de la compagnie de Clermont, fait du tueur de l'Oise une affaire     personnelle et rassemble 28 photos de délinquants sexuel de la région qu'il montrera à une     postière qui venait de se faire braquer en plein service. Elle montre avec conviction la photo n°6   tout en précisant que le braqueur, malgré son joli visage, avait les oreilles décollées et le   commandant ordonne une relevée d'empreintes génétiques sur le comptoir de la poste. Ces   mêmes photos sont présentées à la jeune cycliste qui désignera elle aussi le sixième portrait,   avec la même remarque au sujet de ses oreilles. Les empreintes prélevées à la poste quant à   elles, correspondent à celles laissées sur la 504.

    Le 1er décembre 1978, une jeune femme de 19 ans se fait agresser avec une arme à feu.   Avant de décéder, elle aura tout juste le temps de confier aux enquêteurs qu'elle avait   été prise en stop à Pont-Sainte-Maxens à bord d'une Citroën GS bleu, conduite par un   jeune homme d'environ 30 ans qui s'est brutalement mis à lui tirer dessus. Grâce aux   balles que les enquêteurs ont retrouvées, ils ont pu identifier l'arme du crime : un Bereta   9 mm court qui pourrait appartenir à un collectionneur ou à un militaire.

    Le 3 décembre 1978, les gendarmes retrouvent la voiture sur un parking de la gare d'Orry-la-Ville et cette fois, les enquêteurs sont sur leur gardes et parviennent à désamorcer le mécanisme et évitent l'explosion rituelle de celui qui a commis son premier meurtre. Alors que gendarmes et policiers se soupçonnent mutuellement, une chasse à l'homme est déclarée, chacun des deux camps espérant que le meurtrier ne fasse pas parti de la famille.

    Le 29 décembre 1978, Andrée est montée à bord d'une Peugeot 504 verte. Le conducteur s'est -une nouvelle fois- mis à tirer sur la jeune femme sans aucune raison mais sa victime, avide de vivre, saute du véhicule en marche. Bien qu'elle ait eu la vie sauve, la jeune fille se retrouva paralysée alors qu'elle n'avait même pas vingt ans.

    S'en est assez pour les enquêteurs qui dressent un barrage tout autour de la zone afin de piéger l'assassin. Pris en chasse par des voitures de police, l'homme dont l'identité était encore inconnue des services judiciaires parvint à perdre les forces de l'ordre en traversant une voie ferrée juste avant le passage d'un train.

    Alain Hamon, journaliste sur RTL a suivi l'affaire de très près : "Il y a encore cinq minutes, les importantes recherches entreprises par le gendarmes de l'Oise n'avaient rien donné et l'homme signalé après qu'une jeune femme ait été grièvement blessée de quatre balles 22 long rifle, court toujours. D'importantes forces de police et de gendarmerie cadrillent toute la région de Crépi en Vallois jusqu'à Verberie et Pont-Sainte-Maxens, là où justement à plusieurs reprises, l'inconnu aurait déjà frappé en tirant -d'abord sans la toucher- sur une jeune fille voici quelques semaines et en piégeant deux voitures non loin de là : deux pièges à feu qui avaient blessé un gardien de la paix à Creil et un gendarme près de Senlis. On ne sait pas encore si le même individu avait tué une femme retrouvée dernièrement en forêt de Chantilly car là, le calibre de l'arme n'était pas le même. Il s'agissait d'un pistolet 38 spécial, plutôt un calibre de professionnel. On ne pouvait donc pas jusqu'à aujourd'hui faire la relation avec ce dernier crime de l'Oise mais par contre, les gendarmes font les relations entre toutes les premières affaires et cet attentat contre cette jeune femme de Crépi en Vallois. Malheureusement, plus la soirée tombe, plus la nuit tombe sur les bois et les marais et plus les gendarmes ont peu d'espoirs de retrouver cet inconnu."

    Alors que policiers et gendarmes sont à la recherche de l'agresseur, celui-ci s'est enlisé dans un marais après avoir coupé un roseau pour s'en servir comme d'un tuba. Entièrement immergé dans l'eau pendant près de deux heures, les chiens ont rapidement perdu sa trace.

    Alain Lamare : le gendarme enquêtait sur ses propres crimes

     

    31 décembre 1978, Alain Hamon pour RTL : "Il y a une chose qui est certaine : celui que l'on appelle depuis 48h maintenant "le nouveau tueur de l'Oise" est un fou sanguinaire qui tue uniquement pour le plaisir de tuer, pour le plaisir de faire souffrir, contrairement au tueur de Nogent sur Oise qui avait assassiné huit femmes en sept ans mais qui, lui, était poussé par des instincts à dominante sexuelle. En ce qui concerne l'hypothèse selon laquelle il pourrait s'agir d'un ancien policier ou d'un militaire, il a commencé à faire jour dans l'esprit des enquêteurs. Lorsqu'on a lié toutes les affaires récentes et notamment les deux attentats à l'explosif de voitures piégées qui avaient explosées blessant un gardien de la paix et un gendarme auxiliaire, on s'est dit que cet homme pouvait être un ancien fonctionnaire qui voulait se venger de la profession. Mais dans la lettre qu'il adressa voici quelques semaines au commissariat de Creil, l'homme avoue lui-même que cette voiture piégée était là pour exploser à n'importe quel moment et que c'est pas pure coïncidence si c'est un gardien de la paix qui avait été blessé. D'autre part, certaines informations expliquent que l'homme connaît visiblement très bien les dispositifs policiers et c'est pour cela qu'il s'échappe très facilement. Avant que l'on arrête Marcel Bourbeault, soupçonné d'être le tueur de Nogent, ce dernier avait toujours échappé à tous les déploiements de force mis en place depuis 1969. Si l'on en croit les soupçons du juge d'instruction qui a inculpé Bourbeault, force est de constater qu'il n'était pas policier. Enfin, les enquêteurs ont examiné les munitions utilisées par ce second dément. C'est vrai, c'est du 9mm, un calibre utilisé par certain corps de police et de gendarmerie. Seulement, on précisait ce matin -alors qu'aucune douille de pistolet n'a été retrouvée dans cette nouvelle affaire- que l'arme utilisée était un Bereta 9mm. Ce n'est pas une arme de dotation dans la police française. Donc, le tueur de l'Oise, un policier ou un ex policier, c'est une hypothèse. Peut-être que les enquêteurs auraient moins de mal à arrêter le tueur de l'Oise si c'était l'un des leurs, même un ancien."

    Dans la nuit du 7 au 8 avril 1979, le nouveau tueur de l'Oise est enfin identifié grâce à ses empreintes digitales. Alain Lamare faisait parti de la brigade chargée d'enquêter sur les crimes de l'agresseur aux voitures piégées etsera arrêté le 8 avril 1979 après presque un an de double-rôle.

    Incorporé dans la gendarmerie en 1975, le jeune gendarme de 23 ans aura été forcé de démissionner de sa profession et a obtenu une ordonnance de non-lieu en 1983. Tenu non-responsable de ses actes, Alain Lamare a été diagnostiqué héboïdophrène.

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    Sources vidéos :

    Faites entrer l'accusé - l'affaire Alain Lamare : état de démence.

    Jacques Pradel 2014

    Le monde.fr - Guillaume Canet

     

     

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